Digitalisation du service public : quelle est la stratégie du Québec ?
Une transformation numérique signifie généralement la mobilisation d’importantes ressources financières et humaines. Lorsqu’il est question des deniers publics, le meilleur moyen de ne pas gaspiller reste la mutualisation des efforts. Au Québec, les hauts responsables de l’administration l’ont bien compris. Suivons leur mode d’emploi de la digitalisation du service public.
Les 6 clés de la digitalisation du service public
Concrètement, qu’est-ce qui a été mis en place au Québec pour réussir ce virage numérique ? Pour en parler, deux interlocuteurs de renom ont été invités à notre webinaire à l’attention des mandataires belges.
Il s’agit de :
- Pierre.E.Rodrigue, Secrétaire associé à la transformation numérique et dirigeant principal de l’information au Secrétariat du Conseil du trésor (SCT)
- Suzie Dion, Directrice générale/Cheffe déléguée à la transformation numérique au Centre québécois d’excellence numérique (CQEN)
Avant tout : un objectif clair et commun
Au Québec, comme ici, on ne se lance pas dans une digitalisation du service public sans vision. Au vu de l’investissement financier et humain nécessaire à la transformation, l’objectif poursuivi doit être clair et partagé.
En l’occurrence, pour nos collègues Québécois l’objectif commun était : offrir un service de qualité aux citoyen.ne.s. Concrètement, par service de qualité, les bénéficiaires des services publiques entendent une simplification administrative. Leur souhait ? Éliminer les formalités inutiles ou les doublons.
Pour y parvenir, il n’y a qu’une seule voie : réviser les systèmes informatiques en mettant le bénéfice aux citoyen.ne.s au centre des décisions, et non pas le bénéfice aux fonctionnaires.
1. La fin du travail en solo ou en silo
Au Québec, lorsque l’on parle de digitalisation du secteur public, on sait que l’on va toucher :
- 307 organismes publics
- 4 197 systèmes informatiques
- 477 projets informatiques
Ce travail du passage accru au digital, jadis réalisé en silo est, depuis un an, coordonné par plusieurs organismes :
- le CQEN, le Centre québécois de l’excellence numérique qui accompagne les organismes publics dans leur transformation numérique
- l’ITQ, Infrastructures Technologiques Québec
- le Centre canadien de cybersécurité
- l’ATN, Académie de la Transformation Numérique
À ces instances, s’ajoute une gouvernance constituée de 26 dirigeant.e.s de l’information et d’un dirigeant principal.
L’appui politique important est à souligner, et c’est là que réside le changement : un seul ministre est en charge, à 100%, de la digitalisation du secteur public. Son rôle ? Porter le message de l’importance du service aux client.e.s vers l’ensemble de ses collègues ministres.
2. La consultation préalable
Une consultation préalable de toutes les parties concernées dans un projet constitue le meilleur moyen d’impliquer tout le monde. La consultation sert également à entendre les besoins de chacun.
Les premiers sondés furent donc les citoyen.ne.s. Le constat à l’issue du sondage fut de constater leur ouverture à la numérisation !
Et quels sont leurs souhaits ? Les citoyen.ne.s veulent :
- des administrations qui communiquent entre elles ;
- davantage de solutions sans papier ;
- de ne pas devoir donner plusieurs fois la même information.
Les employé.e.s de L’État ont également été questionnés. Tous et toutes réclament davantage de solutions numériques et soutiennent ce changement.
Comme le disent nos interlocuteurs du webinaire : « une stratégie de transformation numérique ne s’élabore pas en vase clos. Elle est le fruit d’une réflexion et d’une mobilisation de tous les acteurs ».
3. S’entourer de spécialistes en sécurité
Briser les silos, cela fait 30 ans que de nombreux acteurs de l’administration québécoise le demandent. Avec la Covid, plus que jamais, il a fallu accélérer le processus de numérisation… ensemble.
Pour réussir cette digitalisation du service public sans tarder, l’administration s’est entourée d’expert.e.s. Et en particulier, dans le domaine de la cybersécurité en créant le Centre canadien de cybersécurité.
Ce centre coordonne les organismes de cyberdéfense des différents portefeuilles ministériels. Leur travail va jusqu’à réaliser des tests de vulnérabilité sur les sites et les applicatifs des ministères.
À l’issue de ces tests de vulnérabilité, un rapport est établi. Les organismes concernés reçoivent des informations sur les mesures à prendre. Parmi les mesures proposées dans le rapport, se retrouve parfois un changement de comportement des membres du personnel. En effet, la vulnérabilité provient souvent du personnel interne, par inattention, manque de vigilance, méconnaissance…
4. Prendre en compte l’écosystème
L’informatisation et la sécurisation des systèmes ne peuvent pas se dérouler en silo. Les responsables de l’avancée numérique du Québec en sont conscients. C’est pourquoi, toute la stratégie de numérisation des administrations prend en compte l’ensemble de l’écosystème qui gravite autour des administrations.
Les Universités, les sociétés privées, les autres provinces, le gouvernement national, les autres pays et les instances européennes font partie de cet écosystème.
5. Former tout le monde
Comme tout va très vite, il faut former les équipes ! La formation aux outils, aux procédures et aux comportements attendus du personnel fait partie des éléments clés du succès.
Pour répondre à cet impératif, l’Académie de la Transformation Numérique (ATN) a été mis en place par le gouvernement du Québec, qui s’est allié à l’Université Laval. L’ATN cocrée avec les administrations des parcours d’apprentissage adaptés aux besoins. Le cursus comporte également un important volet lié à la cybersécurité.
6. Mesurer et ajuster
Il est important de mesurer où se situe chaque administration dans son avancée numérique. Cette mesure est établie par le CQEN. Il évalue les organismes administratifs sur base de 18 critères considérés comme des standards des pratiques numériques.
Parmi ceux-ci, relevons :
- l’inclusion
- la possibilité de réutiliser et/ou mutualiser
- la performance des systèmes
- l’implication des équipes
Ce bilan régulier permet aux organisations publiques de voir le niveau d’effort nécessaire. Sur base de cet « audit », le CQEN peut identifier comment les aider, quels sont leurs besoins…
En matière de formation également, un baromètre des formations est mis en place pour mesurer l’avancement du déploiement des connaissances.
Digitalisation du service public : le bilan après un an
Après un an d’une politique centralisée de la digitalisation du service public et des administrations, le constat est le suivant : la mobilisation de tous les acteurs concernés est réelle. Les administrations sont enthousiastes quant aux actions mises en place pour leur avancée numérique. Un changement des mentalités est perceptible.
Alors que le CQEN pensait que les organisations allaient voir leur intervention comme intrusive, la réalité est tout autre : il y a avait une attente de meilleurs outils, de moyens et de coordination.
La coordination reste l’élément clé puisque toutes les organisations administratives partagent les mêmes préoccupations :
- bien servir sa clientèle ;
- mieux travailler ensemble ;
- mieux utiliser l’argent du contribuable.
La mission et les actions du CQEN et des autres organismes aidants répondent concrètement à ces préoccupations.
Le rôle clé du CQEN et de l’ITQ
Le Centre Québécois d’excellence numérique (CQEN)
Son rôle est d’accélérer le partage et la collaboration. Leur action relève de la tactique pour arriver aux changements.
Pour exercer leur fonction de conseil, le CQEN s’est doté d’expert.e.s technologiques mais aussi d’expert.e.s du changement organisationnel.
Dans un objectif de défaire les silos pour mutualiser les idées et d’avancer dans les technologies, le CQEN :
- favorise l’utilisation de solutions communes ;
- préconise le travail en co-création ;
- assure une veille technologique pour identifier les meilleures solutions (IA…) ;
- expérimente les solutions ;
- se veut catalyseur de l’innovation.
Leur constat : les organismes publics ont souvent les mêmes processus. Donc, il ne faut pas réinventer la roue et ce qui sert à une administration peut servir à d’autres.
Le CQEN lui même s’est inspiré de ce qui se fait ailleurs (Royaume uni, autres provinces Canada…) pour créer de la valeur avec des méthodes et des solutions innovantes. L’agilité, le Lean management (méthode d’amélioration continue) et la recherche de la simplicité d’utilisation font partie de leurs méthodes.
Leur rôle est également d’instaurer une culture du numérique. Comment ? Par l’utilisation d’outils pour gérer le changement et développer la culture numérique.
Infrastructures Technologiques Québec (ITQ)
Pour briser les silos, il faut également un organisme responsable de l’infrastructure technologique. L’ITQ est né de cette nécessité de protéger toutes les infrastructures administratives de la meilleure façon.
Et l’ambition est même plus grande puisque l’ITQ vise le partage d’infrastructures. De nouveau, avec ce même objectif d’assurer le meilleur service aux citoyens, il est indispensable de regrouper les forces.
D’autant plus dans un environnement où l’on se trouve face à deux « contraintes » : des ressources rares (les experts IT représentent une ressource rare à ne pas gaspiller) et une demande des contribuables que leur argent soit utilisé à bon escient.
Alors, qu’allez-vous apprendre aujourd’hui ?
Mandataire, vous voulez savoir comment passer de la vision à l’action et comment évaluer le rendement et la performance ? Ça tombe bien, c’est le sujet du 5ème épisode de notre série de webinaires, dédiée à la digitalisation du service public. Inscrivez-vous à ce prochain rendez-vous qui aura lieu le 26 novembre de 16h à 17h.